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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 01:02

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Tombe la neige...

Ainsi commence une chanson française et ainsi pourrait-on, simplement, résumer le livre d'Oran Pahmuk.

Mais tout n'est jamais si simple et si le bruit des flocons qui tombent est un bruit qui ressemblerait au silence, ici il ne faut pas se tromper, la neige, c'est aussi le bruit des mots, l'organisation poétique d'un recueil, le poids des coutumes et des traditions qui peuplent la ville de Kars, où l'intrigue se passe, en Turquie. 

 

Le poète Ka, suite à son exil en Allemagne est de retour dans son pays natal, la Turquie. Son passage à Istanbul est rapidement évoqué (un deuil) mais c'est sa volonté de se rendre à Kars, ville où il doit trouver quelque chose ou quelqu'un, qui va décider la destinée de ce héros et la trame du roman.

Alors que le bus se dirige vers cette cité oubliée de l'ancien empire ottoman, la neige commence alors à tomber. Les paysages se recouvrent de cette poudre céleste et le temps s'arrête. A peine un pied sur un trottoir de la ville que nous savons que le poète y restera bloqué. Toute une vie, non, car la neige fond. Mais suffisamment longtemps pour que tout puisse se passer et que sa présence, dans une ville où tous se connaissent, lui confère une place particulière et remplie de sens.

 

Il faut savoir que ce voyage est en réalité orienté par un désir secret. Le poète part à la recherche d'Ipek, un ancien amour de jeunesse, du temps où il a vécu à Istanbul. Il la retrouvera et peut-être s'aimeront-ils. Mais il rencontrera aussi d'autres personnes : Kadife, la soeur d'Ipek, Lazuli, musulman intégriste, le père des deux jeunes filles, porteur d'un discours fatigué comme son homme. Et puis le grand acteur Sunaï qui fut autrefois pressenti pour incarner Atäturk. La liste est longue et ce ressort, la succession de rencontres de personnages fort différents, sert également à la narration, lui donnant une diversité exceptionnelle propice à imager le propos du livre de manière complète.

 

Et le réel propos de ce livre, quel est-il? Il se trouve au sein de l'amour pour Ipek, au sein des choix de Kadife de porter un voile, au coeur des orientations religieuses et politiques de chacun des personnages, et en réalité, au coeur même de ce qu'on pourrait qualifier d'une "identité turque", balancée entre le poids culturel, ce qui vient des racines (et même des racines proches : Atäturk) et l'ouverture vers l'Occident. Et ce qui est beau dans tout cela c'est qu'aucun parti pris n'est énoncé et que sous le couvert de la neige, chaque mot est prononcé avec puissance et parfois violence par les personnages, toujours avec raison de la part du romancier. Au final, et bien sûr que Pamuk a des idées, nous pouvons tout de même sentir vers quel parti s'oriente ses désirs, mais ceux-ci ne sont jamais virulents. Ils sont comme tamisés. Par la neige, qui tombe et tombe encore.

 

Il faudra finalement ajouter que si la neige vient tamiser, c'est aussi la verve de l'auteur qui aide à dire les choses. Pamuk choisit un personnage poète et quelle poésie nous est livrée dans chacun des mots de ce livre! Certains passages sont parfois un peu longs à lire (quelques longueurs, mais si peu) mais la plupart du temps, on ne peut que se délecter d'une telle aumône. Des mots comme ceux-ci devraient être offerts à nos yeux plus que de rigueur. On ne peut se lasser du rythme coulant des phrases, des dialogues qui nous font sentir les silences (on entendrait presque tomber la neige, dehors), et de la poésie qui est au centre des intentions de Ka et du roman, une poésie qui vient comme la neige vient dans la nuit et puis que le matin est blanc.

 

Au final, il faudrait presque s'imaginer un paysage que l'on aime et puis le recouvrir de blanc. Alors comme à l'habitude, comme lorsque nous sommes devant ce paysage, laisser venir nos pensées. L'esprit se laisse aller, nous pouvons songer à notre vie, à l'amour, à la politique... Mais aujourd'hui c'est différent. Notre paysage chéri est recouvert de neige. Nos pensées sont, elles, toujours les mêmes. Mais aujourd'hui le paysage est blanc...

Neige, c'est cela mais nous sommes en Turquie et nos yeux sont ceux d'un poète esseulé.

 

Orhan Pamuk signe un grand oeuvre et par moment, il y a un peu comme de La condition humaine (dans l'engagement et la distanciation proposée entre idées et exotisme). La poésie est omniprésente et magique. Le schéma narratif est total. Un travail admirable.

 

Difficulté de lecture : 6,5/10

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